Coucou petite sœur !
J’ai du mal à y croire et pourtant cela fait déjà quatre jours que j’ai remis les pieds sur le plancher des vaches parisiennes ! Là-bas elles étaient vénérées et couchées au milieu des rues ; à Paris je les ai retrouvées dès ma descente de l’avion …les peaux de vaches…
Il m’a bien fallu deux jours pour me réhabituer au gris, à l’humidité et à la gueule morose des gens ici...
Je sais que tu aurais tellement aimé m’accompagner mais que ton handicap t’interdit à tout jamais certaines destinations. Tu as choisi de vivre tes passions de voyage par procuration.
Je vais te raconter ton cadeau ma chérie, tu trouveras même quelques photos dans l’enveloppe, et de la poudre de curry, pour que tu « ressentes » l’Inde… Je vais te raconter, mais pas les paysages superbes, les villes majestueuses, les temples magnifiques. Tout cela est tellement vrai, mais tu en verras et en liras moultes articles et images sur Internet. Toi qui aimes tant la poésie, je vais te parler de poésie des odeurs, de poésie des couleurs, je vais te raconter le bruit, les sourires, les yeux….je vais te raconter mes sensations…
La première quand je suis arrivée à Delhi a été la moiteur et la chaleur mais surtout le sentiment d’hallucination qui m’a assailli de plein fouet, sitôt passé la porte de l’aéroport. Un mur de taxis jaunes en visuel et l’assaut littéral de mes oreilles par un brouhaha d’apostrophes.
« You want taxi ? Where you go ?
J’étais totalement ahurie ! Nous avons fait un gymkhana digne d’une course poursuite entre tous les véhicules , les chiens errants, les vaches couchées sur la chaussée. On avait beau m’avoir déjà raconté, je te jure qu’il faut le voir pour le croire. J’ai même failli gerber, c’est pour te dire…
Passé le choc, au fil des jours je me suis habituée au grouillement, à l’enchevêtrement, aux bruits incessants qui t’empêchent d’aligner deux pensées de suite. Tu prends tout en pleine poire, tu ne sais plus trop où tu es, tu regardes tes pieds quand tu marches pour éviter de marcher dans une bouse avec tes tongs, ( juste les deux premiers jours, car ensuite tu es ravie d’avoir emporté une paire de chaussures fermées) Et là tu commences à regarder, à sentir, à percevoir…
Je te livre tout en vrac ma chère sœur, c'est totalement désordonné, comme toutes les émotions qui ont submergé mon corps et mon cœur.., Un tsunami que j'aurais voulu vivre avec toi à chaque instant. Qu’importe la description des lieux : leur beauté et leur majesté me paraît indescriptible de toute façon...
Je te l’ai dit, j’ai choisi de te faire partager le sourire des gens que j’ai rencontrés, cette sorte de philosophie fataliste, qui leur fait afficher un sourire quasi permanent, une joie d’être là pour un temps, malgré les blessures du corps et la pauvreté. La misère il y en a c’est indéniable, tu voudrais donner à tous mais c’est impossible, alors tu ne donnes à personne et au contraire c’est toi qui reçois…
Tu reçois une débauche de couleurs, de magnifiques carmins, des indigos d'une intensité incroyable, des verts des jaunes de toute beauté. Il y en a partout, des étoffes brodées des saris aux jattes emplies d’épices, des ocres des paysages de montagne du sud, aux temples oppressants et chargés de Kumbakonam. Ces couleurs effacent celle de la crasse présente partout dans les villes, mais que l’on oublie très vite et qui fait place à l’émerveillement.
Parlons des odeurs …il m’a fallu deux jours comme tout le monde pour m’habituer à celles primaires qui ont assailli mon sens olfactif. Ce sont celles du manque d’hygiène, celles aussi de la surpopulation, celles de la misère. Ensuite j’ai perçu l’odeur de la vie, des épices toujours, des fruits et des légumes qui constituent la nourriture essentielle des indiens.
Mais si tu me demandes ce qui me reste de plus présent à l'esprit quand j'évoque ces six mois de partage avec l'Inde, ce sont les yeux...
J'ai croisé des prunelles si sombres et si profondes, des expressions si différentes des nôtres, des regards confiants qui ne connaissent pas le jugement. Les gens sont heureux d’être, et ils sont heureux aussi que tu sois là tout simplement.
Et puis il y a les enfants. Je ne saurais pas décrire leur beauté, alors je t'envoie leurs photos.
Je suis rentrée, et dans mon quartier il y a un petit restaurant indien. J'y suis allée hier soir car j'avais besoin de rencontrer des indiens en France. Je leur ai dit la vérité : Ton handicap et ton besoin de voyager à travers moi. Je leur ai dit aussi que j'avais la phobie de l'avion, mais que je ferais tout pour te faire rêver. Ils ont tout compris, même au delà, et parler avec eux m'a aider à te raconter....
Maintenant, regarde bien dans le fond de l'enveloppe. il y a un papier plié en quatre. Tu aimeras il me semble le reflet de ces pierres précieuses....aux couleurs Inde-lébiles "d'Incredible India"...
Mille baisers
Agathe
Topaze, Tourmaline
Aigue-Marine, Serpentine
Jade ou Gemme marine
Malachite, Opaline
Améthystes grenadines
Harmonies de pierres fines
Agates Aventurines
Lapis-Lazuli...